Extrait de « L’Encyclopédie du Rythm-and-Blues et de la Soul » 

par Sébastian Danchin                ed. Fayard

 

SOUL

Il en va de la soul comme du jazz ou du blues, deux termes également commodes pour désigner des styles aux registres étendus. Dans chacun de ces cas, il s'est agi avant tout de différencier la musique des Afro-américains de celle qui se pratiquait dans le reste de la société américaine. Avant la guerre, le terme black étant jugé insultant par la communauté noire, l'industrie du disque a préféré utiliser l'expression race records pour désigner les 78-t gravés à l'intention exclusive du public noir.

 

Dès les années 1920, cette musique populaire d'un genre inédit connaît une popularité grandissante au delà des frontières des ghettos et les firmes discographiques sont amenées à opérer une distinction entre blues rural et jazz orchestral: si les Afro-américains d’origine sudiste Conservent l'usage exclusif du blues, le grand public danse au son des big bands, le mot swing (balancer) arrivant à propos pour permettre de différencier les styles. Au lendemain de la guerre, on assiste à une mutation profonde de la société aux États-Unis. Considérés Jusqu'alors comme des citoyens de seconde classe, les Afro-américains font valoir leurs droits à leur retour des champs de bataille du Pacifique et d'Europe. Les GIs noirs ont payé un lourd tribu à la victoire de 1945, n'hésitant pas à donner leur vie pour défendre les valeurs de la démocratie face aux doctrines racistes de l'Axe. La désillusion n’est que plus grande lorsque ces anciens combattants retournent dans le Sud pour se trouver à nouveau confrontés à l'humiliation de la ségrégation. Pour beaucoup, la solution passe par l'émigration en direction des grandes métropoles du Nord. d'autant que la mécanisation de la culture cotonnière amplifie un exode rural annoncé vingt-cinq ans auparavant. Cette urbanisation des populations rurales du Deep South se prolonge à tous les niveaux. La musique populaire connaît des bouleversements d’importance avec 1`amplification des instruments et la généralisation des petits orchestres, et il n'est plus question de lui appliquer le qualificatif race jugé rétrograde et péjoratif. Dans le magazine professionnel Billboard, on parle bientôt de Rhythm & Blues une expression qui consacre à la fois les origines du genre et son rôle de prédilection en club, sur les pistes de danse.

Avec l'arrivée de créateurs comme Ray Charles et Sam Cooke, une nouvelle tendance se dessine. Très fortement marqués par l’atmosphère des églises noires, ces pionniers proposent au Rhvthm & Blues une voie nouvelle eu calquant les structures harmoniques du gospel sur un répertoire profane. Cette Mutation ne se fait pas sans heurt, car la bourgeoisie noire s'offusque de cette musique qui parodie ouvertement les hymnes à l'amour divin pour évoquer des relations nettement plus terrestres. Au sein de la communauté noire, on sait pourtant que si variété et religion n'ont jamais fait officiellement bon ménage, elles restent indissociables l'une de l’autre dans la pratique. L'émergence au milieu des années 1950 de cette nouvelle école, intimement liée à l'expérience noire, n'est pas anodine. A la même, époque, les adolescents américains sont en train de s'approprier le Rhythm & Blues originel qu'ils adaptent à leurs besoins en lui donnant le nom de rock'n'roll. Grâce à la soul music, la communauté noire va pouvoir conserver sa spécificité tout en restant à l'avant-garde de la scène musicale.

 

II existe un lien étroit entre ce R&B nouvelle formule et la prise de conscience politique de la communauté afro-américaine. Après les heures sombres de l'ère Mac Carthy, l'Amérique d'Eisenhower devient le théâtre de la lutte pour les droits civiques des Noirs. Dès 1954, une décision de 1a Cour Suprême rend illégale la ségrégation dans l’enseignement public: un an plus tard. une militante de Montgomery, Alabama. nommée Rosa Parks refuse de céder sa place dans un bus à un voyageur blanc. déclenchant le début de la croisade du pasteur Martin Luther King Jr. Sur le plan musical, les revendications sont tout aussi légitimes et les énergies vont se fédérer autour du concept de musique soul.

Historiquement. le terme soul reflète l'opiniâtreté d’une communauté qui a réussi a préserver son âme africaine au long de plusieurs siècles de servitude. Le mot est apparu dans un contexte musical avec des créateurs du jazz comme Horace Silver, Cannonball Aderlev ou Milt ,Jackson qui entendent manifester par ce vocable aux fortes connotations mystiques un respect profond, presque religieux, pour les racines de leur art. Le mot soul entre rapidement dans le vocabulaire du ghetto pour désigner l'essence même de cette négritude chère à Aimé Césaire ou Léopold Sédar Senghor, mais il faudra attendre 1969 pour que toute la profession suive le mouvement. Billboard officialisant la démarche en rebaptisant ses hit-parades R&B du nom de « Soul charts » le 23 août de cette année-là. Les musiciens n'ont pas attendu la bénédiction du show-business pour jeter les bases de la révolution soul. Cette dernière est le résultat d'une mutation sociale. c'est aussi le fruit d'une aventure économique. La première revendication des pionniers de la soul est en effet de participer, à parité égale avec les artistes de l'Amérique, blanche, au succès commercial symbolisé par l'univers Pop, un terme générique qui désigne la variété américaine dans ce qu'elle a de généraliste, par opposition aux secteurs ethniques. À l'inverse de ce qui s'est passé avec les chanteuses de blues et les orchestres de swing dont le talent a enrichi le show-business blanc entre les guerres, et par la suite avec le rhvthm & blues dont la récupération a fait la fortune du rock'n'roll, il s'agit de mettre en pratique les préceptes d'affirmation communautaire et d'indépendance économique qui traversent l'Amérique noire de Martin Luther King et Malcolm X.

 

Pendant deux décennies, ce combat rassemble dans une multitude d'initiatives des artistes et des maisons de disques disséminés à travers toute l'Amérique: New-York où Atlantic a ouvert la voie avec Ray Charles avant de poursuivre avec Wilson Pickett et Aretha Franklin ; Detroit où Motown propose d'édulcorer la soul noire pour mieux l'intégrer au courant généraliste de la Pop; Cincinnati où King enrichit le vocabulaire de la musique populaire noire avec le funk de James Brown, Memphis où Stax défend au mieux les valeurs culturelles afro-américaines avec le minimum de concessions; La Nouvelle-Orléans où Allen Toussaint tente de faire entendre la spécificité artistique de sa ville; Chicago où Curtis Mayfield donne aux revendications de sa communauté une valeur poétique inégalée, Los Angeles où les tenants d'une soul sophistiquée prennent le relais des pionniers du rhythm & blues; Philadelphie où la politique d'intégration commerciale ouvre la voie au disco...

Signe que les temps changent et que les modes passent, Billboard abandonne la déno­mination Soul le 26 juin 1982 pour adopter le terme Black, désormais symbolique de la fierté afro-américaine. Au lendemain de la vague disco et avec l'irruption soudaine sur le marché de la culture hip-hop, davantage attachée aux valeurs individuelles de la rue qu'à la philosophie de la libération, la page de la musique soul se tourne même s'il reste, en marge de ceux qui sont définitivement passés dans le camp de la Pop (Michael Jackson, Whitney Houston...) un certain nombre de défenseurs de la ballade (Anita Baker, Luther Vandross... ) et du funk (Prince, Rick James...) qui garantissent la survie du genre. Plus récemment, le métier a choisi de retrouver le terme R&B pour désigner la musique populaire noire, prouvant que les étiquettes sont davantage le privilège des critiques que des musiciens. Il faut également voir là une certaine revanche de la soul qui parvient reprendre l'initiative dans sa communauté, d'origine, non sans faire de concessions à l'univers hip-hop, pour déboucher au tournant du millénaire sur un mouvement de renaissance qui ne cache rien de ses intentions conquérantes en prenant le nom de Nu Soul.

 


 

Histoire de la soul music

1. Introduction

La Soul Music désigne littéralement l'heureuse union entre l'âme humaine et la musique, la première inspirant abondamment celle-ci. Elle fait son apparition, dans le monde de la musique et dans les moeurs, au début des années 60 dans les communautés noires américaines aux Etats-Unis. Elle est l'héritière de plusieurs courants ou styles musicaux que sont le GOSPEL, le RHYTHM AND BLUES, le DOOWOP et bien sûr le BLUES

Ce n'est que dans les années 70 qu'elle va être révélée au plublic blanc américain, puis au reste du monde, notamment et surtout par Ray Charles, considéré comme le père de la Soul Music. D'autres artistes vont contribuer à sa diffusion à travers le monde, comme par exemple James Brown, Otis Redding, Sam Cooke, Areta Franklin, les Temptations et Isaac Hayes, tous des "monuments" de la musique noire, pour ne citer qu'eux. 


2. Les années 70: les années de la consécration

Au courant des années 70, la Soul Music, caractérisée alors par ses orchestrations riches, va connaître des remaniements musicaux importants, notamment avec l'introduction de l'électronique dans les rythmiques (Sly Stone, Marvin Gaye  et Stevie Wonder) pour atteindre en 1975 son année de gloire. C'est à cette époque que plusieurs stars de la rock anglaise (David Bowie, avec son "Young Americans" ou Rod Stewart avec "Atlantic Crossing") vont s'en inspirer. C'est aussi en cette période qu'elle voit l'apparition de la DISCO MUSIC avec Gloria Gaynor et Donna Summer et de la Soul plus "élaborée" du Sud des Etats-Unis avec Kool and the Gang et de Philadelphia (Billy Paul avec son prodigieux "Me and Mrs Jones" dont l'introduction, à elle toute seule, emporte l'âme). 

Rappelons aussi que l'année 1975 va être une année charnière pour les Gibb Brothers (Bee Gees) qui vont écrire l'album "Main Course", un album innovateur, produit par Arif Mardin. Il représente le premier album qui rompt avec la tradition "soft rock" (rock mélodique) qui les avait caractérisés jusqu'alors. Cet album apporte des innovations à plusieurs points de vue: utilisation différente et recherchée de la basse (Maurice), "création", expérimentation et perfectionnement de la voix de tête ou falsetto (Barry), des harmonies vocales (Barry et Robin) et de nouvelles rythmiques (Maurice). Les morceaux de cet album, leur premier album de platine, vont de la funk à la country, en passant par la soul et le rhythm and blues, dont certains seront repris par d'autres artistes ("Come On Over" par Olivia Newton John et "Nights On Broadway" par Paul Anka). Si jusqu'alors, les Bee Gees n'avaient pas goûté à la Soul, c'était en quelque sorte pour ne pas briser la tradition qui voulait que la Soul Music était et reste avant tout un patrimoine historique de la musique noire. 

Période de consécration également pour Diana Ross ("Love Hangover" en 1976), les Earth Wind and Fire (l'album "All'n All" de 1977), les Commodores, dont Lionel Richie va se distinguer et entamer une brillante carrière solo à partir des années 80, les Temptations et Marvin Gaye


3. Les années 80: nouvelles évolutions

Les années 80 vont également être florissantes dans la mesure (c'est le cas de le dire !) où la Soul Music va se donner de nouveaux styles avec le RAP et surtout la FUNKY MUSIC. 


4. La "Blue-eyed Soul": la soul blanche

Parallèlement à l'évolution de la Soul Music, une soul blanche, dite "Blue-eyed Soul", est apparue et s'est également répandue. Elle compte parmi ses artistes non moins que les Righteous Brothers, les Hall and Oates, dont le big hit "I Can't Go For That (No Can Do)" de 1982 de l'album "Private Eyes" a été en cette année-là no 1 au hit parad de la Black Music, Michael McDonald avec les Doobie Brothers ("What a Fool Believes" de 1979, coécrite avec Kenny Loggins), puis en carrière solo, dont les hits sont nombreux (l'album à succès "If That's What It Takes" en 1982, le gros tube "Yah Mo B There" en duo avec James Ingram en 1984, "On My Own" chanté avec Patty Labelle et "Sweet Freedom" en 1986), Paul Young et plus récemment George Michael et Simply Red

La Blue-eyes Soul est restée fidèle aux caractéristiques musicales de la Soul Music classique développées par les Noirs (voix sensuelle, rythme et contre-rythme cadencés, choeurs), à tel point que parfois l'on peut s'y tromper quant à l'identité de l'artiste. 


5. Conclusion

La Soul Music s'est inspirée au cours de son évolution historico-musicale de styles/courants musicaux différents, mais a réussi néanmoins à conserver ce qui la différencie des autres formules musicales, à savoir son inspiration d'origine "spirituo-sensuelle". Comme mieux que n'importe quel autre style, elle est arrivée à concilier les goûts variés de la population tout-venant. Ajoutons à cela la qualité de l'interprétation vocale, sans égaux dans la musique pop, des artistes noirs capables de diffuser leurs sentiments jusqu'à faire vibrer les âmes. 

Je suis convaincu que la Soul Music continuera encore longtemps à inspirer bon nombre d'artistes, qu'ils soient "white or black", et à répondre aux attentes multiples des mélomanes avertis. 

Pour ma part, la Soul Music, entre autres styles, m'a permis de découvrir des rythmes et des sons, de les pratiquer et d'en "créer" d'autres à l'occasion de mes séances de percussions, et de goûter, ne fût-ce que pour un instant, au plaisir que l'on éprouve en se laissant séduire par la musique au-delà des catégories de l'entendement. 

 

Liatti Stefano

 

6. Bibliographie

- Guglielmi, S. (1981). Bee Gees. Roma: Latoside Editori
- Leduc, J.-M. & Ogout, J.-N. (1990). Le Rock de A à Z. Paris: Editions Albin Michel. 

 

 

retour page réflexions-opinions